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Maltraitance, violence : Un pas vers les féminicides ?

Auteur : André Lecomte, président du conseil d’administration

Parution : Journal Clic Aîné | Volume 2 | Numéro 2 | 15 juin 2021

Au moment où le Québec est aux prises avec une augmentation du nombre de féminicides, dix en moins de quatre mois, probablement exacerbés par des restrictions en cette période de pandémie, il est vraiment temps de poser le problème des relations entre les hommes et les femmes.

Le Québec n’est pas la seule société qui est confrontée à ce problème. Au Canada, Madame Sarah Lou, de Radio-Canada, rapportait que 160 femmes en 2020 étaient mortes des suites d’un acte violent : un décès à tous les deux jours et demi. En France, après des années d’augmentation depuis 2006, le journal Le Monde rapportait une diminution au cours de l’année 2020. Il semble qu’il soit trop tôt pour y voir ici une tendance durable. Évidemment, le tableau serait plus complet si nous étendions notre recherche à d’autres pays, mais ce n’est pas là notre propos.

Empruntons la défi­nition de féminicide au Conseil du Statut de la Femme. « Il s’agit du meurtre d’une femme au simple motif qu’elle est une femme, quel que soit son âge, et quel que soit le contexte. Ainsi le terme désigne le meurtre d’une femme, d’une jeune ­fille ou d’une enfant en raison de son sexe. » D’après nous, cette forme de violence expliquerait, en partie, l’évolution des difficiles relations entre les hommes et les femmes.

À court terme, des mesures de soutien sont absolument nécessaires aux femmes et aux hommes qui vivent des difficultés en cette matière. Mais comment se fait-il que nous en soyons arrivés là ? Nous tenterons de remonter le plus loin possible dans le temps a­n de comprendre comment ont évolué les relations entre les hommes et les femmes. Évidemment dans un texte aussi court nous n’avons pas la prétention de couvrir tous les aspects de ce sujet fort complexe. Nous nous concentrerons sur des moments clés de l’histoire qui impliquent des relations entre les hommes et les femmes. Nous nous attarderons sur trois moments clés de l’histoire.

Chez les premiers humains, parmi les tâches accordées à l’homme était sans contredit la chasse au gros gibier, même si à l’occasion les femmes pouvaient y participer. La cueillette des fruits était assumée par les femmes. C’est ainsi que les activités de subsistance étaient réparties. Toutefois, la femme avait la responsabilité entre autres, de préparer les aliments et de les distribuer. Dans un contexte de survie, traquer l’animal et le tuer accordait à l’homme un prestige et une gloire aux yeux du groupe qui avaient comme conséquence de faire ombrage à la femme. N’oublions pas que c’est le groupe qui fournissait ce pouvoir de domination à l’homme. Sa force et son endurance lui accordaient un statut particulier. Comment ne pas admirer l’homme faisant usage d’une certaine violence qui tue pour permettre la survie du groupe ? L’homme bénéfi­ciait alors d’une grande importance dans le groupe. Notons toutefois, que dans certaines sociétés traditionnelles, la femme jouait un rôle important et béné­ficiait d’une grande reconnaissance.

Les chasses aux sorcières au Moyen-Âge et surtout à la Renaissance ont contribué à assujettir les femmes à un rôle de seconde importance. Disons au départ qu’il était inconcevable de penser que, dans un foyer sans enfants, l’homme puisse être incapable de procréer. Le fardeau de cette incapacité était alors imputé à la femme. On l’accusait alors d’avoir envoyé un sort à son mari. Devant cette impossibilité d’accorder une descendance à son mari, elle était accusée de sorcellerie. Le sort réservé aux sorcières : certaines étaient mises à l’écart du groupe, d’autres étaient emprisonnées, d’autres étaient brûlées vives. De plus, bon nombre de ces femmes étaient en réalité des sage-femmes ou des guérisseuses qui soignaient à partir des connaissances fournies par la tradition et basées sur des savoirs ancestraux. Ce qui venait à l’encontre de la volonté de prodiguer des soins basés sur des connaissances supposément scienti­fiques que des théologiens véhiculaient même si nous n’en étions qu’aux balbutiements de la science appliquée aux traitements des maladies. La plus grande différence entre les sorcières du Moyen-Âge et celles de la Renaissance, les premières étaient placées au ban de la société, on les considérait comme folles, alors que les secondes subissaient des procès pour sorcellerie. Si bien qu’entre 1430 et 1630 le continent européen a connu 110,000 procès pour sorcellerie et 48% se sont soldés par une condamnation à mort.

Beaucoup de sorcières étaient des femmes pauvres. Elles survivaient en mendiant de porte à porte. D’autres femmes proféraient des menaces, maudissant ceux et celles qui refusaient de les aider semant la zizanie dans leur entourage. Certaines d’entre elles étaient accusées de sorcières parce qu’elles refusaient de se conformer au modèle de féminité imposée par la loi, la religion et la famille. On les accusait de subversion et de contrevenir à l’ordre établi.

De son côté, au cours de ces mêmes années, la France a connu plusieurs épisodes liés au climat : sécheresses, inondations, hivers très froids sans oublier des périodes de peste. L’explication trouvée à ces tristes soubresauts a été associée à la force du Diable. Mais comment agit le Diable ? Par l’intermédiaire des sorcières, des femmes, bien entendu.

Le dix-neuvième siècle est marqué par les débuts de l’industrialisation. Cette période où les hommes travaillent dans les mines, entre autres, dans des conditions de travail pénibles : heures de travail élevées dans la semaine, dans des conditions de sécurité pitoyables pour un salaire permettant juste la survie. Pendant ce temps, les femmes sont cantonnées à la maison, sans autre revenu que celui du mari, attendant leurs hommes harassés par leur période de travail. Le caractère pénible des tâches à effectuer et son rôle de soutien plaçaient les hommes dans une position de domination sur la femme. De son côté en plus de donner naissance aux enfants, les femmes s’occupaient de l’entretien de la maison et de la socialisation, rôles qui leur étaient dévolus par la tradition.

Au 20e siècle, on assiste à des mouvements de revendication des femmes. Ne voulant plus être cantonnées dans leur rôle traditionnel, elles réclament plus d’égalité avec les hommes. D’autant plus que les découvertes techniques n’obligent plus ou presque la force physique jusque-là le champ de prédilection des hommes, qui leur accordait ainsi une certaine domination. Le facteur d’émancipation et d’égalité entre les hommes et les femmes a été et continue d’être l’éducation. Attardons-nous sur ce point. L’accès des femmes à l’éducation nous démontre que les ­filles réussissent mieux que les garçons si tous les deux sont placés dans des contextes socioculturels équivalents. D’après Boris Cyrulnik, cela s’expliquerait par une question de maturation. Dans leur évolution respective, les fi­lles acquerraient une maturité plus rapidement que les garçons.

Nous savons l’importance accordée à l’éducation dans nos sociétés ainsi que le prestige qui lui est conféré. Elle permet d’obtenir de meilleurs salaires, des bonnes conditions et d’occuper des postes comportant un certain prestige. Tout cela est maintenant offert autant aux femmes qu’aux hommes. Ainsi, les femmes peuvent acquérir une grande autonomie, une émancipation certaine par rapport aux hommes. Révolu le temps où certains hommes se dé­finissaient par leur force physique et leur rôle de pourvoyeur uniquement, assurant ainsi une domination envers leurs conjointes. L’éducation est donc devenue un facteur d’émancipation et d’égalité entre les hommes et les femmes.

L’arrivée massive des femmes sur le marché du travail et leur plus grande réussite académique dans plusieurs secteurs de la société modi­fient les rapports hommes-femmes, même s’il reste encore plusieurs domaines à conquérir. Comme les femmes n’acceptent plus les rôles imposés par la tradition et qu’elles sont devenues pleinement conscientes de leur force, la question qui se pose est la suivante : comment les hommes s’adaptent-ils à ce nouveau contexte, comment voient-ils leurs rapports avec leurs partenaires ou les femmes en général. Boris Cyrulnik, distingue trois types d’hommes. Le premier est celui qui sera en mesure de posséder une scolarité équivalente, qui partagera la même vision de la vie que leur conjointe et qui s’occupera également des enfants. Le deuxième aura des emplois instables, passera beaucoup de temps à satisfaire ses propres besoins en matière de loisirs, conservera des relations étroites avec ses amis. Ce qui fera dire à la femme : « je dois m’occuper de deux enfants et d’un mari ». En­fin le troisième type risque de se trouver seul, occupant des boulots difficiles, mal payés et qui ne pourra participer à cette nouvelle condition de vie. Nous sommes donc loin des rapports de domination des hommes à l’endroit de leurs conjointes.

Revenons donc à notre question de départ : qu’est-ce qui expliquerait cette augmentation du nombre de féminicides au Québec ? Notre trop bref retour dans l’histoire nous conduit à situer ce problème dans la difficulté de maintenir des rapports d’égalité entre les hommes et les femmes. Ces derniers prennent des formes différentes selon les époques. Ce n’est pas la seule réponse. Incapable de composer avec leurs nouveaux rôles, certains hommes, croyant toujours à leur force musculaire n’hésiterait pas utiliser cette caractéristique a­n d’assurer leur domination envers leurs conjointes. D’où des gestes de violence extrême.

Le sociologue néerlandais, Abram de Swaan associe la violence faite aux femmes à la montée de mouvements radicaux comme l’islamisme radical plaçant les femmes dans un état d’infériorisation. Il en serait ainsi chez les ultraconservateurs qui rejetteraient le féminisme. Une façon plus sournoise serait celle véhiculée par Donald Trump, qui par son silence approbateur ne conteste pas l’image de la femme objet. Évidemment, les thèses soutenues par ce dernier, De Swann, mériteraient un approfondissement.

Il en est ainsi du système patriarcal autour duquel est organisé la vie familiale.

C’est ainsi que la maltraitance et la violence pourraient être un pas vers les féminicides.

 

SOURCES :

À tous ceux et celles qui voudraient se documenter sur ce sujet, nous vous suggérons les lectures suivantes dont l’auteur de ce texte s’est entre autres inspiré…

Cyrulnik, Boris, Des âmes et des saisons, éd. Odile Jacob, 2021, 297 pages.

De Swann, Abram, Contre les femmes, la montée d’une haine mondiale, éd, Seuil, 2021, 368 pages.

Fédérici, Sylvia, Une guerre mondiale contre les femmes, des chasses aux sorcières aux féminicides, éd. Du remue-ménage, 2021, 138 pages.